« Mon pire ennemi » : l’insoutenable colère de l’Iran dans un documentaire filmé au débotté

Mehran Tamadon dans son film « Mon pire ennemi ».

Mehran Tamadon dans son film « Mon pire ennemi ». SURVIVANCE

Critique  Documentaire franco-suisse par Mehran Tamadon, avec Mehran Tamadon, Zar Amir Ebrahimi (France/Suisse, 1h22). En salle le 8 mai ★★★★☆

Le documentariste iranien Mehran Tamadon cherche à travers chacun de ses films à faire la lumière sur les méthodes de la République islamique et à provoquer une prise de conscience chez ses affidés. Dans « Iranien » (2014), il invitait quatre mollahs à vivre chez lui pour confronter leurs idées aux siennes, athées et progressistes, mais l’expérience tournait court, sa rhétorique maladroite se voyant écrasée par la faconde charismatique d’un des fous d’Allah. Banni d’Iran en conséquence, Tamadon y exposait son impuissance à rendre compte de la réalité de son pays et à s’opposer au mal qui le gangrène. Soit exactement ce dont traite « Mon pire ennemi », infiniment plus fort et pertinent. Ici, le réalisateur interviewe des ex-détenus soumis à la question et, parfois, à des années de prison, aujourd’hui réfugiés en France, puis leur propose de rejouer leurs interrogatoires : à leur tour de prendre la place du bourreau tandis que Tamadon se met dans la position de la victime. L’idée de ce dernier étant de rentrer ensuite en Iran pour confronter les vrais tortionnaires à ces images.

Filmé au débotté, dans des intérieurs spartiates et des extérieurs vagues de la périphérie parisienne, l’exercice embarrasse par son artificialité et menace de virer à l’obscène. Quand un ouragan nommé Zar Amir Ebrahimi souffle sur le film. Elle est actrice, révélée en 2022 par « les Nuits de Mashhad » qui lui valut un prix d’interprétation au Festival de Cannes, et a fui l’Iran il y a seize ans, au sommet de sa gloire, après que la diffusion d’une sex-tape privée a fait d’elle une proie du régime.

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Se prenant au jeu imaginé par Tamadon, elle se met à le sadiser avant de se rebiffer et de lui dire ses quatre vérités sur le bien-fondé du dispositif. « Ton problème, c’est que t’es dans un autre monde. Est-ce qu’au nom du cinéma, on a le droit de faire souffrir les gens ? De leur faire mal là où ils ont déjà des blessures ? Comment tu t’autorises à faire cela ?... Cet interrogatoire n’est en rien ressemblant avec le bâton qu’ils te foutraient dans le cul. Quand t’auras les couilles d’aller là-bas, de te retrouver en prison et que l’un des leurs vienne te filmer, là on sera dans un documentaire. »

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Au fond, c’est sa culpabilité d’exilé, à l’abri des exactions du régime, que raconte le film de Tamadon. Mais aussi la force de conviction et la puissance disruptive d’une femme, Ebrahimi, qui, pour avoir survécu à l’ignominie (qu’elle évoque avec une déchirante retenue), ne se fait guère d’illusion sur les moyens de l’éradiquer. Tourné avant le mouvement Femme, Vie, Liberté, « Mon pire ennemi » (qui compose un diptyque avec « Là où Dieu n’est pas », en salle le 15 mai) en incarne l’échec et l’insoutenable colère qui, si elle gagnait tout le peuple iranien face à la folie intégriste, porterait ses fruits plus que n’importe quel film contestataire.

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