Marie de Hennezel : « Bien vieillir ? L’Etat ne le fera pas à votre place, et vos enfants non plus »

Marie de Hennezel en août 2011.

Marie de Hennezel en août 2011. NIVIERE/SIPA

Entretien  Qu’est-ce que cela signifie, bien vieillir ? Et comment y parvenir sans (trop) compter sur les autres ? La psychologue a longuement mûri ces questions.

Elle a été l’une des premières en France à donner de la voix sur une thématique qui suscitait alors un assourdissant mutisme : le sort, plutôt indigne, que notre société réserve aux plus âgés. La psychothérapeute et psychanalyste Marie de Hennezel livre depuis de nombreuses décennies ce qu’elle appelle un « combat de civilisation », le bien-vieillir.

Une vie engagée à laquelle un livre d’entretiens (« l’Eclaireuse », par Olivier Le Naire, éd. Actes Sud) vient de rendre hommage. Qu’est-ce qu’une vieillesse réussie ? Comment y parvenir ? Elle répond aux questions du « Nouvel Obs ».

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Vous accompagnez des groupes de personnes retraitées à entrer idéalement dans le troisième, voire le quatrième âge. Ce qui nous fait réaliser que ces formations sont presque inexistantes en France…

Marie de Hennezel C’est vrai, et je ne comprends pas pourquoi. Des séances de coaching ou de thérapie devraient systématiquement être proposées aux personnes qui entrent dans cet âge charnière de l’existence. Il est indispensable de s’arrêter un moment, pour réfléchir, dresser un bilan de ce qui a été accompli, ou ne l’a pas été, et surtout de ce qui doit l’être dans les années qui vous restent à vivre. Il s’agit de devenir léger, un adjectif important, c’est-à-dire de s’alléger des regrets, des remords et des rancœurs. Ce travail de connaissance de soi – qui peut être effectué en quelques séances de thérapie, pas besoin d’une analyse sur plusieurs années – doit idéalement démarrer tôt, à la soixantaine commençante, pas une fois que le grand âge survient.

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Pourquoi ?

Parce qu’on s’enfonce vite dans des habitudes dont il devient de plus en plus difficile, par la suite, de s’extraire. Il s’agit de prendre le bon pli immédiatement, si je puis dire, en gardant en tête un élément essentiel : ce travail peut contribuer à faire reculer le plus tard possible l’éventualité d’une perte d’autonomie. Une personne septuagénaire, octogénaire, voire nonagénaire qui se connaît, connaît ses besoins et ses envies vivra des années plus pleines, plus emplies d’un sentiment d’utilité dont on sait combien il est important pour conserver son autonomie. Cela passe souvent, à la soixantaine, par le fait de déterminer ce que les Japonais nomment l’ikigaï, c’est-à-dire les activités qui vous enthousiasment, où vos compétences sont reconnues et qui sont en même temps utiles à la communauté. Cela peut être des activités très simples : bricolage, jardinage, cuisine… C’est ainsi, grâce à l’introspection et en développant son sentiment d’utilité, qu’on accroît ses chances de vivre des années épanouies, ouvertes et sereines – parfois bien plus que celles de votre vie active. Oui, le corps décline mais, comme le dit Victor Hugo, « le corps décline, la pensée croît » !

Vous tenez aussi ce propos inhabituel : les seniors ne doivent pas excessivement compter sur leurs enfants et petits-enfants pour les accompagner…

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La solidarité intergénérationnelle est importante, bien entendu, mais elle a montré ses limites. Si vos enfants se forcent à venir vous voir régulièrement pour vous éviter la solitude et non parce qu’ils en ont pleinement envie, ce n’est bon pour personne. Je n’ai pas oublié le conseil que m’a adressé le philosophe Robert Misrahi : « Marie, le plus beau cadeau que vous puissiez faire à vos enfants, c’est votre maturité heureuse. » Il ne s’agit pas, bien sûr, de culpabiliser ceux qui traversent une vieillesse triste et solitaire, en leur disant « c’est de votre faute ». Simplement, je recommande, dans la mesure du possible, de travailler le plus tôt possible à développer vos amitiés intragénérationnelles, autrement dit des gens de votre âge, avec qui partir en randonnée, chanter, peindre… L’Etat ne le fera pas à votre place, et vos enfants non plus.

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Les seniors sont aussi des consommateurs. Trouvez-vous que les entreprises de la « silver economy » se montrent à la hauteur de la révolution démographique que nos pays connaissent ?

Bien sûr, je remarque que quelquefois les technologies s’avèrent extrêmement précieuses. Par exemple, depuis deux ans, un groupe de retraités que j’accompagne a lancé un groupe WhatsApp qui permet à ses membres de communiquer entre eux, d’échanger des informations, des blagues… Je vois combien cette plateforme est utile pour ceux qui souffrent le plus de solitude, tout comme sont utiles les tablettes et les logiciels de visioconférence pour parler à ses enfants et petits-enfants, même s’ils ne remplacent jamais le « présentiel ». Mais il me semble que les constructeurs ne comprennent pas toujours les besoins des seniors. Il est indispensable de partir de ce qui leur est utile, vraiment utile et ne sert pas à marquer un statut social.

Une consommation qui a vraiment du sens ?

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Absolument. Souvent, en vieillissant, nous consommons moins, car l’âge nous a aidés à prendre conscience de la réalité de nos besoins. Nous simplifions les choses, nous nous allégeons comme je le disais, et n’oriontons plus forcément nos choix vers les propositions marchandes les plus « spectaculaires ». Je me souviens par exemple du témoignage d’une dame qui, à 86 ans, avait décidé d’apprendre le persan à Langues O’ [l’Institut national des langues et civilisations orientales, NDLR]. Cette dame n’avait pas d’ami iranien, n’allait évidemment pas en faire un usage professionnel, ne projetait même pas de se rendre en Iran. « Mais pourquoi alors apprendre le persan ? » lui ai-je demandé. « Parce que ça ne sert à rien » a été sa réponse. A mon avis, elle en dit long.

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« L’Eclaireuse. Entretien avec Marie de Hennezel », d’Olivier Le Naire, Actes Sud, 192 p. 19 euros.

« L’Eclaireuse. Entretien avec Marie de Hennezel », d’Olivier Le Naire, Actes Sud, 192 p. 19 euros.

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