Au procès de l’attentat de Nice, les images du massacre sidèrent l’assistance

Les policiers se tiennent près du camion, au pare-brise criblé de balles, après sa course meurtrière sur la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016.

Les policiers se tiennent près du camion, au pare-brise criblé de balles, après sa course meurtrière sur la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016. VALERY HACHE / AFP

Les images de vidéosurveillances captées lors de l’attentat du 14 juillet 2016 ont été projetées dans la salle d’audience. Les scènes insupportables et la violence inouïe du terroriste ont glacé d’effroi l’assistance. Récit.

Le film est muet. Les mots pour le décrire, presque vains. Les images des 4 minutes et 17 secondes de l’acte terroriste du 14 juillet 2016 à Nice parlent d’elles-mêmes : la volonté de commettre un massacre y transparaît, chronologiquement établie, follement déterminée, froidement précise, incroyablement obscène et, jusqu’à la dernière seconde, terriblement révoltante.

Ces images, on aurait pu les croire irréelles si la cour d’assises spécialement composée de Paris, dans une transparence assumée, n’avait pas décidé de les montrer telles qu’elles sont : crues et cruelles.

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Elles proviennent des caméras de la vidéosurveillance de la voie publique de la ville de Nice. Tout d’abord, on y voit un banal camion blanc, immatriculé 7794 XN 94, stationné à l’angle du boulevard Verany et de la rue Georges-Chapel. Une ombre, arrivée à vélo, en fait le tour, puis s’installe au volant et conduit le 19 tonnes durant plusieurs minutes, en respectant le Code de la Route. Mais, alors que le feu d’artifice du 14-Juillet s’achève, le poids lourd prend la direction de la promenade des Anglais. Il est 22h30. Le pire va commencer.

22h33, le camion s’engage sur le trottoir

Dans la salle d’audience, les parties civiles sont venues nombreuses assister à ce sinistre spectacle dont la nécessité a fait débat durant plusieurs jours auparavant. En préambule, le président Laurent Raviot a prévenu l’assistance : « Il s’agit d’images terribles », insiste-t-il, mettant en garde sur le choc qu’elles pourraient provoquer chez certains. En simultané, les vidéos sont diffusées dans la salle d’audience annexe du palais des congrès de Nice. Chacun observe en silence, respectueux et attentif. Mais, déjà, un bref cri surgit d’un banc : sur les écrans, le camion vient, à 22h33, de s’engager sur le trottoir. Il commence à heurter les premiers piétons.

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La caméra n° 440, intitulée « PDA-CUM », implantée sur le terre-plein central de la promenade à hauteur du Centre universitaire méditerranéen (CUM), filme en hauteur le camion. Il roule à vive allure. Surtout, il apparaît d’emblée comme ce qu’il est : monstrueux, multipliant les embardées pour viser les piétons.

A cet endroit, les passants sont peu nombreux. Mais déjà, derrière ses roues, s’alignent les premiers corps. Plus loin, la caméra n° 176, nommée « PDA-WESTMINSTER », montre la foule compacte des touristes et des Azuréens qui déambulent tranquillement, seuls, en groupe, en couple ou en famille, main dans la main ou conduisant une poussette d’enfant. Dans l’instant suivant, ces bonheurs tranquilles sont littéralement pulvérisés. Le camion heurte des corps qui sautent en l’air comme des quilles, tandis que d’autres semblent s’être accrochés aux roues.

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Un étal de vente de bonbons

Sur certaines images, le poids lourd donne l’impression de rebondir, comme si des obstacles s’étaient glissés sous son essieu. Et tandis que de valeureux passants tentent de courir derrière le camion ou de s’accrocher à ses portes, il poursuit sa course macabre.

Est-ce terminé ? Non. On ne voudrait pas le voir mais le camion fonce sur un groupe composé de nombreux enfants, massés devant un étal de vente de bonbons. Il fonce encore sur une petite foule d’adultes assistant à un concert de jazz. Cette fois, des grappes entières de piétons sont décimées. La mort, littéralement semée sur la promenade des Anglais.

Ce n’est qu’à 22h35 que le camion ralentit enfin sa course, alors que trois policiers en uniforme courent à proximité. A hauteur de la rue du Congrès, tandis que les forces de l’ordre font feu, le camion stoppe enfin sa course.

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En 1895, lors de la première projection publique du cinématographe par les frères Lumière, le public assistant à l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat avait été effrayé, pensant que le film muet était la réalité et que le convoi allait foncer sur lui. Ici, les images de la vidéosurveillance de la ville de Nice suscitent une pareille panique : on comprend que le centre municipal avait été averti immédiatement par radio de l’irruption du camion sur la promenade des Anglais et que, dans ses derniers mètres, il a pu suivre en direct son sinistre parcours, zoomant sur sa trajectoire, bougeant pour tenter de comprendre.

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Dans la salle d’audience, encore aujourd’hui, on voudrait crier face à l’inexorable trajet meurtrier pour ordonner à la foule d’évacuer et de s’écarter afin que le camion ne parvienne pas à la faucher avec la facilité apparente d’un sinistre jeu vidéo. Pourtant, personne ne hurle face au spectacle insoutenable. Des voix, des cris s’élèvent bien à plusieurs reprises, lorsque des amas de corps passent sous les roues. Des épaules sursautent, tremblent à chacun des 86 morts, impossibles à compter. Quand la vidéo s’achève, un silence absolu gagne la salle d’audience. Sidéré, le public quitte les lieux sans un mot. Hébété, prostré, un petit groupe de rescapés demeure longtemps sur les bancs de la cour d’assises, incapable de bouger.

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