De retour de Gaza, deux médecins français racontent la situation « innommable » et « injustifiable » des hôpitaux

Les deux soignants, qui ont passé plusieurs semaines à l’aéroport de Gaza, racontent le manque de matériel, d’anesthésie ou encore d’antiseptiques dans les hôpitaux débordés conduisant à de nombreuses morts « évitables ».

Des blessés soignés à même le sol dans un hôpital de Rafah, le 2 mars 2024.

Des blessés soignés à même le sol dans un hôpital de Rafah, le 2 mars 2024.  AFP

Ils racontent le manque d’antiseptiques et les patients hurlant de douleur, les « morts évitables ». De retour après plusieurs semaines à l’hôpital européen de Gaza, deux médecins français ont décrit des chirurgies réalisées dans des conditions « terribles » dans l’enclave palestinienne ravagée par la guerre.

« Il n’y a plus de moyens pour assurer l’asepsie [prévention des maladies infectieuses, NDLR] d’un service hospitalier », a résumé lundi le docteur Khaled Benboutrif, urgentiste toulousain, qui s’est rendu dans le sud de la bande de Gaza entre le 22 janvier et le 6 février avec l’association médicale Palmed, spécialisée dans l’aide aux Palestiniens. « On ne trouvait pas où soigner, il n’y avait pas de brancard […], on était obligé de soigner des blessés graves par terre », a ajouté le sexagénaire lors d’une conférence de presse à Marseille.

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Son confrère Pascal André, infectiologue de formation, a constaté entre le 8 et le 22 février qu’« énormément de patients font des infections graves postopératoires », car le bloc « n’est pas suffisamment propre » en l’absence d’antiseptique. « On est sur une situation qui est innommable, qui est injustifiable », a estimé le médecin français.

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La guerre dans la bande de Gaza a été déclenchée par une attaque menée le 7 octobre par le mouvement islamiste palestinien Hamas dans le sud d’Israël, qui a entraîné la mort d’au moins 1 160 personnes, la plupart des civils, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes. L’opération militaire israélienne lancée en représailles a fait plus de 31 700 morts dans la bande de Gaza, majoritairement des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas.

« La chirurgie est faite dans des conditions qui sont terribles parce que les gens ne peuvent pas se nettoyer avant correctement », a détaillé Pascal André.

Pour le docteur Benboutrif, le conflit a tellement duré qu’il n’est « plus question » pour les soignants de l’hôpital européen « de pouvoir maintenir la moindre organisation ». Ainsi, souligne l’urgentiste, « le laboratoire était totalement défaillant […] donc le moindre examen nécessaire pour diagnostiquer, pour le suivi, ce n’était pas possible ».

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« C’était clair qu’on tirait sur des enfants »

Une des difficultés tient au fait que de nombreuses personnes déplacées par les combats ont trouvé refuge « dans les couloirs, dans les salles d’attente, dans les cages d’escalier » et même dans « certains ascenseurs, partout » dans l’hôpital, a assuré Khaled Benboutrif. Malgré tout, « la prise en charge des patients doit continuer dans un désordre total », a-t-il ajouté.

« J’ai vu en réanimation des patients qui avaient des tuyaux dans la bouche, qui étaient ventilés et qui avaient les yeux ouverts parce qu’il n’y avait pas assez d’hypnotiques », a pour sa part raconté avec émotion le docteur André, expliquant que de nombreux camions d’aide humanitaire restent bloqués à la frontière avec l’Egypte.

Israël contrôle l’entrée des aides terrestres à Gaza, qui restent très insuffisantes au regard des besoins immenses des 2,4 millions d’habitants, dont la grande majorité sont menacés de famine selon l’ONU.

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Le médecin, installé à Rodez dans l’Aveyron, a assuré que certains patients « hurlaient parce qu’il n’y avait pas d’anesthésique » et a expliqué que le manque de médicaments affectait ceux atteints de longues maladies. En février, il a ainsi vu une jeune mère mourir « parce qu’elle n’avait pas eu accès au traitement de son diabète ». Ce sont « des morts qui sont totalement évitables, et dont on ne parle pas, qui ne sont pas comptabilisées », a-t-il déploré.

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Outre les victimes de bombardements, le docteur Benboutrif a expliqué avoir reçu aux urgences « beaucoup de victimes de snipers ». « C’était clair qu’on tirait sur des enfants. C’était bien cadré, c’était bien calculé », a estimé le médecin évoquant le cas d’une petite fille de 11 ans, devenue tétraplégique après avoir été touchée aux cervicales par une balle.

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Les deux médecins ont regretté le manque d’attention accordé à leur témoignage depuis leur retour en Europe. « Je suis en souffrance de ce silence », a conclu le docteur André.

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