Carte blanche 

Le gouvernement Meloni se réclame du peuple mais enchaîne gaffes et piètres mesures

Raffaele Simone

Linguiste et essayiste italien

CHRONIQUES ITALIENNES. L’essayiste italien Raffaele Simone dresse un premier bilan, un an après l’installation au pouvoir de la cheffe de Fratelli d’Italia.

Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

S’il s’agissait d’un film, on dirait que c’est une « dramedy », c’est-à-dire un mélange astucieux de drame et d’éléments comiques. En effet, plus d’un an après son installation, le gouvernement de Giorgia Meloni n’a produit que peu de résultats et un déferlement ininterrompu, en revanche, de gaffes et de gestes particulièrement ridicules.

Commençons par les choses sérieuses. Déclarée, non sans exagération, quatrième femme la plus influente au monde par le magazine « Forbes », Giorgia Meloni a de toute évidence un don : l’ubiquité. On la voit littéralement partout : à Dubaï, en Inde, aux Etats-Unis, à Bruxelles, dans les congrès des associations et organisations locales les plus diverses, dans trois ou quatre endroits le même jour. Avec le style fougueux et plutôt brutal qui lui est coutumier, elle a récemment affirmé que sa « majorité était solide » (bien qu’issue des voix de seulement dix-huit millions des cinquante et un millions d’électeurs, soit un sixième du total théorique). Malgré cela, son exécutif a demandé à 42 reprises un vote de confiance.

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Elle a également affirmé « le peuple est avec nous ». Mais le fact-checking raconte une autre histoire. Le 17 novembre, une grève générale très suivie a paralysé le pays entier. Le 5 décembre, c’était le tour des services de santé d’être bloqués par une grève des soignants – ras-le-bol des mauvaises conditions de travail (rien ne s’est amélioré après le Covid) et des salaires de misère (dans l’UE, l’Italie est le seul pays où les salaires ont baissé de 2,9 % entre 1990 et 2020). En réponse, après une longue bataille avec l’opposition, la majorité mélonienne a rejeté la proposition d’une loi fixant le smic à 9 euros de l’heure (l’Italie est l’un des rares pays de l’UE à ne pas avoir une loi qui l’établisse). Dans son rapport de novembre sur la fiscalité, l’Institut national de Statistique a communiqué un chiffre que les Italiens ont appris à connaître : 62,52 % de l’impôt sur le revenu provient de 13,94 % des contribuables. En pratique, les fonctionnaires sont les seuls à payer. Et la lutte contre l’évasion fiscale ? Devant la Fédération de l’Artisanat, c’est-à-dire sa base électorale, Meloni a déclaré : « Nous luttons contre l’évasion fiscale, la vraie et non la présumée », l’évasion présumée étant, comme elle l’a expliqué, celle des assujettis à la TVA (artisans, professionnels, commerçants). Entre-temps, sans trop faire circuler l’information, elle a signé un accord avec l’Albanie pour y envoyer les immigrants illégaux récupérés en mer, imitant, de manière à peine plus light, la surréaliste idée britannique de les expulser au Rwanda.

Quid les résultats ? Le seul point appréciable de cette première année réside dans les 512 000 emplois supplémentaires créés depuis septembre 2022, même s’ils sont largement balancés par l’augmentation de la pauvreté absolue : les prévisions parlent de six millions de personnes en 2023 (un dixième de la population), soit 5 % de plus que l’année précédente.

Les fans de Tolkien

Mais, à côté du « drame », il y a la « comédie », même si tout compte fait, elle ne fait pas trop rire. A la mi-novembre, Francesco Lollobrigida (ministre de l’Agriculture et beau-frère de Meloni, déjà apparu dans ces colonnes), non satisfait de l’avalanche de gaffes qu’il a suscitée depuis son arrivée, a exigé que le Frecciarossa (notre TGV le plus rapide) sur lequel il voyageait fasse un arrêt spécial à Ciampino, à quelques kilomètres de Rome : comme le train roulait avec une demi-heure de retard, le ministre courait le risque de ne pas arriver à l’heure dans le village campanien de Caivano, où une école l’attendait. Le chef de train ayant refusé cet arrêt irrégulier, le ministre a demandé l’autorisation au PDG de Trenitalia, et il a pu descendre où il a voulu pour poursuivre sa mission en voiture. Noyé sous les ricanements de l’opposition et des médias, Lollobrigida a tout de même lâché, avec son air de pas y toucher, que l’arrêt ne profitait pas qu’à lui, car… n’importe quel autre voyageur aurait pu descendre à Ciampino.

Au même moment, son collègue Gennaro Sangiuliano (également connu des lecteurs de cette chronique), obsédé par son idée d’arracher à la gauche l’hégémonie culturelle, inaugurait une exposition de livres (250 000 euros de coût) à la GNAM, la grande collection publique d’art moderne de Rome. Exposer des livres dans un musée est tout à fait inhabituel, mais pas pour Sangiuliano. L’exposition est en effet consacrée à J. R. R. Tolkien, l’auteur du « Seigneur des Anneaux » et du « Hobbit », que la droite italienne brandit depuis longtemps comme un drapeau ; elle voit chez lui un amoureux des mythes qu’elle affectionne tant, ainsi qu’un beau spécimen de catholique conservateur. Désertée par les vrais écrivains (la droite n’en compte qu’une poignée), l’inauguration était en revanche remplie de collègues du parti ; on aurait dit un congrès politique. Meloni est, elle aussi, une fan de Tolkien : comme le « New York Times » l’a malicieusement rappelé, il y a quelques années elle s’est présentée dans une école déguisée en un personnage du « Seigneur des Anneaux ».

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Entre-temps, l’infatigable Sangiuliano a placé Pietrangelo Buttafuoco, l’une des rares têtes d’affiche de sa famille politique, à la présidence de la Biennale d’Art de Venise (institution culturelle des plus respectées, qui organise, entre autres, le Festival du Cinéma de Venise). Journaliste, polémiste, invité régulier sur les plateaux, directeur de théâtres et festivals ainsi que romancier au succès modeste, Buttafuoco risque d’arriver à la tête de tout et n’importe quoi, vu la pénurie de camarades présentables. C’est peut-être pour cette raison que le ministre, un catholique conservateur, n’a pas sourcillé lorsqu’on lui a rappelé que Buttafuoco, ce Sicilien de naissance et de langue, s’est fait, depuis longtemps, musulman.

Mais s’il est un fan passionné, Sangiuliano est aussi très susceptible. Il vient de menacer la RAI de poursuites judiciaires car il a remarqué que dans l’émission de radio « Un giorno da pecora » (l’une des rares programmes satiriques à avoir survécu à la mélonisation des médias), on se moquait de lui en ironisant sur son manque de culture et en insinuant qu’il avait écrit plus de livres… qu’il n’en avait lus !

BIO EXPRESS

Linguiste et essayiste italien, Raffaele Simone a publié chez Gallimard « le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?  » (2010), « Pris dans la Toile. L’esprit aux temps du web » (2012), « Si la démocratie fait faillite » (2016) et « la Grande Migration et l’Europe » (2022).

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