La France, un pays de sport ? (5/7) Pascal Charroin, historien du sport : « La France n’a jamais été aussi sportive »

Des judokates s’entraînent à l’Institut national du Sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) à Paris, le 23 janvier 2023.

Des judokates s’entraînent à l’Institut national du Sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) à Paris, le 23 janvier 2023. ELIOT BLONDET-POOL/SIPA

Interview  Alors que plusieurs sportifs français estiment que la France n’est pas une nation de sport, l’enseignant à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne souligne que c’est surtout la baisse des aides publiques qui déstabilise nos champions.

Dans moins de 100 jours et près de sept ans après l’attribution officielle des JO, Paris accueillera la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, un défilé de six kilomètres sur la Seine. Une célébration qui s’annonce grandiose mais qui a encore du mal à emballer. D’un côté, l’engouement populaire tarde à émerger, même si le premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, estime « qu’après des mois d’interrogations, d’inquiétudes, (…) est en train de s’engager une phase de “JO mania” ». De l’autre, plusieurs médaillés français qui estiment que la France n’est pas vraiment un pays de sport.

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Un des derniers en date : Teddy Riner, cinq médailles olympiques dont trois en or en judo, a assuré fin février sur France 2 que « le sport n’est pas dans notre culture ». Et de critiquer : « On n’arrive même pas à mettre sur un beau socle les sportifs, les champions. » Interrogé sur les critiques portées par le champion, l’historien du sport Pascal Charroin tempère l’analyse. Surtout, l’enseignant à l’Université Jean-Monnet Saint-Etienne souligne que c’est le modèle d’accompagnement des sportifs de haut niveau qui ne fonctionne plus.

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Le 25 février dernier, le triple champion olympique en judo Teddy Riner a déclaré sur le plateau de « Quelle époque ! » sur France 2 que la France n’est pas un pays de sport. A-t-il raison ?

Pascal Charroin L’affirmation de Riner n’est pas justifiée au plan historique. La France n’a jamais été aussi sportive ! Le nombre de licenciés dans les fédérations traditionnelles ne fait qu’augmenter. Même s’il faut admettre qu’il croît moins vite aujourd’hui en raison de sa concurrence par le sport non-licencié, un phénomène quasi-identique dans les autres pays occidentaux.

En 2022, les fédérations ont délivré plus de 20 millions de licences (15,4 millions de licences annuelles et 5,3 millions d’autres licences et autres titres de participation). A titre de comparaison, il y avait entre 400 000 et 800 000 licenciés en 1920. Il faut en plus ajouter que 70 % des Français disent faire du sport, soit 30 millions qui pratiquent en non-licencié.

En revanche, Riner a un peu raison si l’on compare la France avec d’autres pays. Par exemple, le foot est le sport le plus pratiqué en France comme en Allemagne, mais avec 2 millions de licenciés chez nous contre 7 outre-Rhin !

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Du point de vue des résultats sportifs, Riner a tort puisque la France est devenue une vraie nation sportive, avec des victoires dans de nombreuses disciplines. Même si on a des lacunes dans certains sports, je pense notamment à l’athlétisme.

Teddy Riner cite comme exemple le Brésil où « le sport est vital » et pratiqué « matin, midi, soir ». Est-il vrai que nous n’avons pas la culture du sport ?

Il n’a pas raison de comparer la culture sportive de la France et du Brésil. C’est un cliché de croire que les Brésiliens pratiquent plus de sport ou qu’en faire est « vital » pour eux. C’est autant un cliché que le fait de dire que les Asiatiques sont bons en sport de raquette, type ping-pong ou badminton, ou que les Kényans sont performants en course.

Sur la culture sportive, on peut également souligner que sur les heures de sports obligatoires à l’école, la France est le pays qui en propose le plus au monde, avec la Suisse. On a le souci de l’éducation sportive, parfois au détriment de la performance sportive.

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Enfin, je voudrais noter que nous sommes les champions du monde de la structuration du sport. Créations des fédérations internationales masculines et féminines, revitalisation des Jeux olympiques… 9 fois sur 10, ce sont des Français à la manœuvre !

A titre d’exemple du manque de culture sportive en France, Teddy Riner estime qu’« on n’arrive même pas à mettre sur un beau socle les sportifs, les champions ». Le problème en France ne serait-il pas surtout lié au haut niveau ?

Sur l’accompagnement des sportifs de haut niveau, la France a un modèle hybride, à la fois reposant sur un modèle capitaliste, mais aussi appuyé par la puissance publique. On n’est pas comme un pays de l’Est à l’époque soviétique où les sportifs d’Etat étaient des fonctionnaires, mais pas non plus un pays capitaliste où ils sont financés exclusivement par des fonds privés.

Dans les pays très libéraux, les sportifs gagnent très bien leur vie, même dans des sports moins médiatisés. Car ils savent dès le départ qu’ils vont devoir se débrouiller pour gagner leur vie, prennent cela en compte, et font donc énormément d’effort pour « se vendre » et obtenir des fonds.

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En France, notre modèle n’est pas très opérant. Car les finances publiques ne sont plus aussi bonnes qu’avant, aussi pour le sport, et l’accompagnement est moins important. Mais les sportifs pensent encore qu’ils vont pouvoir vivre de leur sport, notamment grâce à ces aides publiques qui baissent, voire disparaissent. On a donc un modèle avec des disparités horribles, entre ceux qui gagnent très bien avec des fonds privés et ceux qui espèrent gagner.

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