Carte blanche 

Aide à l’Ukraine : comment la menace sur le leadership américain a rapproché démocrates et républicains

Marie-Cécile Naves

Politiste

PASSIONS AMERICAINES Alors que la Chambre des Représentants a voté une aide substantielle à l’Ukraine, l’impression grandit dans une partie de la classe politique et de la société civile que les Etats-Unis ont perdu la maîtrise à l’échelle internationale.

Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Le samedi 20 avril, après six mois de tergiversations, la Chambre des Représentants a voté à une large majorité un nouveau paquet d’aides financières et militaires à l’Ukraine, d’un montant de 61 milliards de dollars. Le texte va être débattu au Sénat en ce début de semaine. La dernière fois que les parlementaires américains ont voté une vaste aide à l’Ukraine, c’était en 2022, avant le basculement de la majorité en faveur des républicains. Jusqu’ici, le Congrès des Etats-Unis a accordé 113 milliards de dollars à l’Ukraine, dont 75 milliards de soutien militaire, humanitaire et financier direct. Les autres mesures, votées séparément le 20 avril, elles aussi de manière bipartisane, concernent les sanctions contre TikTok, des aides pour Israël et Gaza (26 milliards), ainsi que pour Taïwan (8 milliards).

Près de la moitié des représentants conservateurs ont voté pour l’enveloppe en faveur de l’Ukraine. De leur côté, par fidélité aveugle à Trump, selon qui cette aide ne ferait que prolonger le conflit, et par obsession de ne jamais voter aucune loi avec les démocrates, les MAGA (Make America Great Again) et autres extrémistes médiatiques de la Chambre s’y sont opposés. Leurs menaces à l’encontre de Mike Johnson, le président de la Chambre des Représentants, ont été vaines, celui-ci a tenu bon. Revanchards, les trumpistes perpétuent également la croyance selon laquelle l’Ukraine a aidé la campagne d’Hillary Clinton en 2016. Rien ne l’atteste, alors que l’ingérence russe dans l’élection pour favoriser Donald Trump est, elle, documentée, notamment dans l’enquête du procureur spécial Robert Muller en 2019.

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Vision de guerre froide

Mike Johnson a sans doute pris un risque politique, mais un risque politique mesuré. Il avait en effet effectué le voyage à Mar-a-Lago, le 12 avril, pour rencontrer l’ancien président, qui, selon la presse américaine, ne s’est pas opposé à la perspective d’un prêt financier à l’Ukraine (lequel ne sera probablement jamais remboursé). Ce vote du 20 avril est-il alors le signe d’un non-alignement d’une grande partie des représentants républicains sur Donald Trump – qui n’est pas élu, n’a aucune responsabilité politique mais leur parle dans l’oreillette en permanence – ou, plus probablement, d’un laisser-faire de la part d’un Trump embourbé dans les ennuis judiciaires alors qu’a débuté son premier procès au pénal dans l’affaire Stormy Daniels ? Sans compter que son mot d’ordre reste que, s’il revient à la Maison-Blanche, la guerre s’arrêtera immédiatement. Autrement dit… on verra plus tard.

La Russie reste un adversaire, pour ne pas dire un ennemi, dans les représentations collectives du parti républicain qui, certes, n’a plus guère de voix néoconservatrice forte en son sein, mais demeure empreintes d’une vision de guerre froide en matière géopolitique. La crainte est vive que l’Ukraine, aujourd’hui en mauvaise posture militaire, pourrait n’être qu’une étape dans la stratégie de conquête de Vladimir Poutine en Europe orientale. Et Johnson a dit qu’il « préférait envoyer des balles plutôt que des boys [soldats] en Ukraine ». Une guerre longue, peut-être, mais sans la chair à canon américaine – le traumatisme de l’Irak reste vif.

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Défense des valeurs démocratiques fragilisée

Au-delà, la peur de la perte du leadership des Etats-Unis dans le monde rapproche les deux partis démocrate et républicain. Cette peur est à la fois fondée et datée. En particulier, la défense des valeurs de démocratie et des droits de l’homme a du plomb dans l’aile dans la mesure où le soutien américain à Israël (bien plus inconditionnel chez les républicains, qui n’ont que faire du sort des Palestiniens, que chez les démocrates) donne, à l’échelle du monde, l’impression d’un « deux poids, deux mesures » : pourquoi la compassion et l’aide aux civils ukrainiens ne sont-elles pas accordées, ou si peu, aux civils palestiniens de Gaza ?

Cela explique aussi le vote, à la Chambre, des 13 milliards d’aide militaire pour Israël, et des 9 milliards pour l’aide humanitaire à Gaza – ce qui est considérable. Seuls 37 élus démocrates ont voté contre, ce qui est en deçà de ce qu’on pouvait attendre, et montre qu’il n’y a pas de fronde anti-Biden sur le sujet au Congrès. Il est vraisemblable que les récentes attaques de l’Iran contre l’Etat hébreu ont joué en faveur d’un vote « oui », y compris à gauche.

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A l’échelle internationale, et dans une partie de la classe politique et de la société civile américaines elles-mêmes, l’impression grandit que les Etats-Unis ont perdu la maîtrise : le conflit russo-ukrainien n’était pas censé durer si longtemps, la Russie n’était pas censée engranger tant de soutiens dans le monde, par intérêts réciproques bien compris, les mouvements propalestiniens transnationaux n’étaient pas censés être aussi déterminés. La planète est plus que jamais fracturée et les solutions de paix s’éloignent chaque jour un peu plus. La possibilité d’un retour aux affaires d’un Trump mû par une vision transactionnelle des relations internationales (les « deals »), dont les accords d’Abraham ont montré toute la faiblesse, n’est pas pour rassurer.

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