Evincer les locataires trop riches des logements sociaux… Limites et contours d’une idée controversée

Le ministre délégué au Logement Guillaume Kasbarian à l’Assemblée nationale à Paris, le 26 mars 2024.

Le ministre délégué au Logement Guillaume Kasbarian à l’Assemblée nationale à Paris, le 26 mars 2024. MATHILDE KACZKOWSKI / HANS LUCAS VIA AFP

Décryptage  L’idée avancée par le gouvernement d’évincer de leur logement social les locataires devenus trop aisés a suscité vendredi une vague d’indignation à gauche et parmi les organisations du secteur, y voyant une diversion face à une production de HLM qui patine.

« Il faut réinterroger la pertinence à continuer à occuper un logement social de ceux qui ont largement dépassé les plafonds de revenus » C’est par ces mots dans un entretien publié jeudi 11 avril dans le journal « Les Echos », que le ministre délégué au Logement Guillaume Kasbarian a annoncé vouloir favoriser la sortie du logement social des locataires considérés comme trop riches. Quelle est la volonté du gouvernement ? Qui serait concerné ? Quelles mesures existent déjà ? « Le Nouvel Obs » fait le point.

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• Quelle est la volonté du gouvernement ?

Le ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargé du Logement entend exiger des bailleurs sociaux une évaluation régulière et obligatoire de « la situation personnelle, financière et patrimoniale » des locataires du parc social. Et qu’ils puissent ainsi évaluer le renouvellement du bail ou le « niveau des loyers ». Un projet de loi visant à favoriser le logement des classes moyennes, qui doit être dévoilé en Conseil des ministres en mai, avant un examen au Sénat prévu en juin, contiendra cette mesure.

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Contacté par « Le Nouvel Obs », le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a affirmé vouloir modifier le plafond d’entrée des logements sociaux. « Aujourd’hui, pour entrer dans un logement social, une personne seule doit gagner au maximum 33 000 euros. Elle ne doit ensuite quitter le logement que quand elle gagne 50 000 €. Nous souhaitons baisser ce plafond maximal à partir duquel la personne doit trouver un autre logement ». Et d’ajouter : « Avec le projet de loi, on va modifier un peu l’équilibre, à un niveau qui sera plus proche de 40 000 euros en zone tendue ».

Pour ce qui est d’une modification des taux de supplément de loyer de solidarité (SLS) ou « surloyers » le ministère se veut rassurant : « les majorations de loyers ne seront pas modifiées à ce stade dans le texte, sous réserve de sa finalisation » confie l’équipe ministérielle.

Le projet de loi doit également donner plus de pouvoir aux maires dans l’attribution des logements sociaux ou dans la décision d’en vendre, a détaillé Guillaume Kasbarian jeudi.

Pour Thomas Kirszbaum, sociologue et chercheur associé au Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (Ceraps), ces mesures marquent un rapprochement avec les systèmes outre-Atlantique et outre-Manche. « Manifestement, le gouvernement veut aligner le modèle français sur celui des Etats-Unis et du Royaume-Uni, celui du modèle de logement social dit “résiduel”. C’est-à-dire qui serait ciblé uniquement sur les ménages en situation de pauvreté » explique le spécialiste des politiques de la ville et de renouvellement urbain.

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Le président national de la Confédération Nationale du Logement (CNL) Eddie Jacquemart déplore quant à lui que le véritable problème, celui du financement du logement social, ne soit pas abordé. « [Les mesures envisagées] sont des mesures conjoncturelles qui ne solutionneront pas un problème structurel » regrette-t-il. Convoqué lundi dans le cadre du Conseil National de l’Habitat (CNH), le président de l’association espère en apprendre plus sur la question.

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• Qui est concerné ?

Selon le répertoire des logements locatifs des bailleurs sociaux (RPLS) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, « 15,9 % des résidences principales en France sont des logements locatifs sociaux [au 1er janvier 2023], soit 5,3 millions de logements sociaux ». L’étude statistique publiée le 21 décembre 2023 montre que le parc locatif social s’est accru de 1,1 % en un an, et qu’en 2022, « le nombre de demandes de logement social au 31 décembre [était] 4,3 fois supérieur au nombre de logements disponibles à la location au cours de l’année ».

Des données reprises par le ministre, qui s’insurge : « Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer, est-il normal qu’ils soient empêchés de le faire alors qu’il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu’ils se sont vus attribuer leur logement ? ».

Selon « les Echos », Guillaume Kasbarian a affirmé que plus de 8 % des locataires de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social s’ils en demandaient un aujourd’hui. Le ministère explique que cela représente « quelques dizaines de milliers de locataires ». Et de préciser : « ce ne sera qu’à la relocation, donc les locataires en place ne seront pas concernés ».

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Quelles mesures existent déjà ?

En l’état actuel de la réglementation, les locataires doivent déjà répondre chaque année à une « enquête ressources » pour attester de leur situation économique. S’ils dépassent un certain plafond de ressources, leur bailleur peut majorer leur loyer et s’ils font état de revenus encore plus élevés, il peut dans certains cas refuser de renouveler leur bail.

Les seules catégories protégées sont les personnes âgées de plus de 65 ans et celles en situation de handicap.

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Cette mesure a pourtant été annoncée par le ministre délégué au Logement dans les colonnes des « Echos ». « Je crois que Monsieur Kasbarian n’a pas lu la loi Elan » qui encadre cette surveillance, a ironisé le président de la CNL Eddie Jacquemart.

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